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Paddock Paradise, rêve ou cauchemar ?

Paddock Paradise PP, rêve ou cauchemar - Laure Souquet - Equinessentiel - La santé du cheval au naturel

Le principe du Paddock Paradise est de plus en plus à la mode dans notre pays pour loger les chevaux. Je l’ai moi aussi considéré comme une très bonne solution il y a de longues années de cela. Mais je suis vite revenue sur mon premier jugement. Je m’explique de suite !

Qu’est-ce qu’un Paddock Paradise ?

Le principe du Paddock Paradise a été mis au point par Jaime Jackson aux Etats Unis. Il est simple : mettre en place sur tout le tour du terrain que l’on a de disponible pour les chevaux une piste de largeur adaptée à leur nombre. Piste le long de laquelle on installe des aires élargies pour l’abreuvement, le foin, les abris, les compléments, etc. Avec accès contrôlable à différentes parcelles, destinées au pâturage ou au jeu.

À l’origine, il s’agit de reproduire le mode de vie naturel des chevaux qui passent leur temps à marcher d’un endroit d’intérêt à un autre en utilisant toujours les mêmes chemins et s’usent ainsi les sabots de façon naturelle. D’ailleurs, pour aider à leur entretien, on aménage également la piste avec des matériaux de dureté et de taille différentes. Ceci afin de renforcer les pieds et de faire travailler la proprioception des chevaux. L’objectif est qu’ils se déplacent un maximum le long de la piste. Au lieu de stationner toute la journée dans un même endroit du pré où se trouvent l’eau, la nourriture et l’abri.

Paddock Paradise, de la théorie à la pratique…

L’idée est très prometteuse et l’aménagement de la piste et de l’espace est un exercice très intéressant à faire. Pourtant, sa mise en place chez nous présente des inconvénients et n’est pas toujours une réussite. J’en parle en connaissance de cause, ayant vécu et travaillé avec les chevaux en Bretagne, Normandie, dans l’Ain, en Haute Savoie et à présent en Auvergne. Ayant travaillé avec eux sur de plus courts termes en Espagne, Italie et Australie. Et ayant soigné vos chevaux dans toute la moitié Nord de la France et en Belgique. Des terrains, des prés et des Paddocks Paradise, j’en ai vus !

Aménager un vrai et beau Paddock Paradise, ça coûte un certain prix

Créer des pistes double la longueur de clôtures

Soyons honnêtes, la première difficulté est financière. En effet, la double clôture nécessaire à la création de la piste est un investissement de taille ! Cela double tout simplement le budget clôture et laisse donc moins de fonds pour aménager le reste. Sans compter que nous sommes peu à disposer d’une seule parcelle. Souvent, nous avons plusieurs parcelles de petite surface entre lesquelles nous faisons tourner les chevaux. Donc que faire : un Paddock Paradise pour une seule saison ou dans un seul parc ? Ou dans tous ? Alors ça représente encore plus de longeur de piste

Les pistes doivent en plus être drainées et/ou stabilisées

Ensuite, le fait de forcer les chevaux à utiliser toujours la piste entraîne forcément un piétinement conséquent de cette piste. L’idée est justement d’épargner ainsi le reste de la pâture. L’intention est bonne, seulement le résultat dépend de la nature du terrain. Car on vous promet qu’à force de tasser la piste, les chevaux la rendront suffisamment dure pour supporter l’hiver sans former de boue. Mais c’est sans compter avec la pluviométrie de nos contrées et la nature de certains terrains.

Et honnêtement, toutes les pistes de Paddock Paradise que j’ai pu voir en France et qui n’étaient pas drainées et stabilisées ressemblaient davantage à des rivières de boue en hiver ! Si le terrain est facilement boueux, il faut donc y remédier en drainant la piste efficacement. Ce qui représente un très gros investissement. Sans compter que si on laisse la piste très gravillonneuse, la grande majorité des chevaux et au moins ceux qui arrivent juste dans le pré a les pieds bien trop fragiles pour y passer la journée. Ils développent alors facilement des inflammations du pododerme de la sole si aucun autre terrain n’est disponible. Ce qui réduit bien entendu considérablement leurs déplacements ! Or, l’objectif est tout de même de les encourager. La qualité du sol et la surface proposées doivent donc y être favorables.

En France, en Suisse ou en Belgique, les prés et pâtures des chevaux sont bien plus petites qu’aux États Unis ou en Australie

Un autre point de taille, c’est que les conditions de détention des chevaux sont très différentes ici de ce qui se fait dans les vastes espaces où le concept a vu le jour. À la base, les projets de Jaime Jackson concernent des exploitations entières dont la piste fait tout le tour. Les parcelles des chevaux représentent en général plusieurs dizaines d’hectares au bas mot. Or, chez nous la majorité des parcelles se situe entre 1/2ha et 2ha. Bien sûr, il y en a de 5 ou 10ha d’un tenant, voire plus, mais ça reste assez rare.

Sur une petite parcelle, les chevaux peinent à comprendre qu’il leur faut faire le tour de la piste pour accéder aux points d’intérêt

Alors on nous dit que même sur un hectare ce système peut s’envisager. D’accord. Seulement les chevaux ont une façon d’appréhender l’espace différente de la nôtre. Ils ne sont pas capables de réfléchir au contournement et sont donc pour la plupart incapables de se sortir d’un labyrinthe, même simple. Aussi, s’ils vous voient avec des seaux de grain juste en face d’eux mais qu’un fil les en sépare, ils vont naturellement tendre à rester attendre devant le fil ou à le casser pour passer plutôt que de réfléchir à faire le tour de la piste. Et ils n’apprécieront guère de tourner en rond. Pour que le principe leur paraisse logique, il faut de la surface !

Plus la parcelle aménagée en Paddock Paradise est petite, plus on tend à réduire la largeur des pistes

De plus, les petites surfaces disponibles encouragent souvent à réduire au maximum la largeur des pistes. Or, celle ci doit être suffisante pour que les chevaux puissent passer à plusieurs de front, et donc adaptée à la taille du troupeau. Une piste de 2m de large est bien insuffisante ! Généralement, il en faudrait plutôt 6 pour éviter le stress et les risques de coups.

Déjà, parce que les passages étroits sont stressants en eux-mêmes pour la plupart des chevaux. Ensuite, parce que les chevaux ont une bulle dans laquelle les autres ne sont pas tous autorisés à pénétrer, et encore moins dans un goulet anxiogène. Donc si un cheval en intimide un autre, ce dernier doit pouvoir lui laisser la place suffisante pour ne pas être embêté. Sinon, il se verra durement chassé et cela donnera lieu à des comportements d’évitement qui pourront se révéler très dangereux pour lui même comme pour ceux qui pourront se trouver sur son passage. S’il s’agit de vous, vous risquez d’y perdre des orteils…

Alors, certes, cela fait apparaitre du mouvement dans le troupeau, et un peu d’adrénaline de temps en temps ne fait de mal à personne. C’est pourquoi Jackson conseille d’utiliser un haut parleur diffusant de temps en temps des bruits tels que le cri d’un cougar pour stimuler l’instinct de survie des chevaux et les faire bouger. Mais pour qu’un cheval se sente bien dans son groupe, le stress ne doit pas être suscité par ses membres. Un stress extérieur fédère le troupeau, mais des relations stressantes entre membres entraînent un profond malaise chez le cheval qui les subit, et qui peut même en tomber malade. Pensez-y donc avant de dessiner vos pistes !  

Un vrai Paddock Paradise, c’est avant tout la dispersion des points d’intérêt, ce qui augmente coûts et manutention

Enfin, très souvent, le principe n’est pas suivi jusqu’au bout par manque de temps et de moyens. Ce qui fait que les chevaux ne bougent pas davantage que dans un pré classique. Car si on respecte bien les règles, on doit par exemple disposer des filets à foin tout le long de la piste. Et non dans une seule aire, qu’elle soit stabilisée ou non.

Seulement cela prend bien plus de temps et demande bien plus de manutention que de tous les regrouper ou d’en mettre un très grand sur un ballot de foin complet. En effet, si Jaime Jackson parle de disposer suffisamment de filets pour que le remplissage ne soit nécessaire qu’une fois par semaine, cela suppose qu’ils soient nombreux et/ou de très grande taille.

D’une part, des filets de bonne qualité qui n’abiment pas les gencives des chevaux sensibles et qui durent dans le temps coûtent cher. Et d’autre part, il faut une bonne surface de piste et de nombreuses aires élargies pour les disposer. Et cela ne doit pas prendre tout l’espace de votre Paddock Paradise. Donc la plupart des gens ne le font pas. Et au delà de cela, il est impératif de disperser les points d’intérêt au maximum. Car si le foin est sous l’abri avec l’eau, Paddock Paradise ou pas, les chevaux y passeront la majorité de leur temps. Il ne suffit pas d’une piste pour les encourager à se déplacer ! 

Les pistes, vous aussi devez les suivre pour gérer votre PP, et ça prend du temps

Je parlais de manutention, ça vaut le coup de s’y attarder. Car le foin à disposer le long de la piste n’est pas le seul effort à fournir. Si vous n’avez pas ni point d’eau naturel ni moyen d’en pomper d’un point d’eau proche du pré, il vous faudra faire le tour de la piste pour remplir votre abreuvoir. Et ce sera la même chose pour ramasser les crottins que vous ne pourrez évidemment pas laisser sur cette piste. De même pour toutes vos autres tâches. Difficile de couper au milieu du pré. À moins de passer entre les fils et de montrer ainsi aux chevaux que c’est chose possible… C’est beaucoup de temps perdu si vous en avez peu à passer avec eux. Au quotidien, c’est rapidement difficile. 

Pour ma part, je préfère les systèmes ouverts

Les chevaux ont leurs propres critères pour occuper un espace, les laisser libre peut nous surprendre et nous en apprendre beaucoup !

Personnellement, je préfère laisser les chevaux utiliser l’espace comme ils le souhaitent. D’autant plus sur de petites surfaces qui, je le rappelle, sont les plus courantes chez nous. De toute façon, ils créent leurs pistes eux-mêmes. Et au moins, lorsque le terrain s’avère trop humide, ils peuvent en changer. L’essentiel est la bonne répartition des ressources. Et il n’est plus nécessaire de répartir les espaces car ils le font d’eux mêmes.

Naturellement, ils choisissent pour se reposer et s’abriter les meilleurs endroits. Endroits qui diffèrent avec le moment de la journée et la météo. Vous n’avez alors plus qu’à disposer pierres à sel, compléments, plantes variées, eau, et filets à foin si nécessaire à des emplacements éloignés. Ainsi, vous économisez une clôture et laissez davantage d’espace aux chevaux pour courir. L’espace étant ouvert, il vous est plus facile de vous y déplacer vous aussi. De plus, aucun endroit du pré n’est sur-pâturé ni compacté à outrance. Car, je le rappelle, la plupart d’entre nous disposons non pas d’une seule parcelle mais de plusieurs entre lesquelles nous jonglons. Libre à vous, ensuite, de disposer des graviers à certains endroits stratégiques pour encourager vos chevaux à y marcher. Mais si leurs pieds sont sensibles, ils peuvent les éviter.

Trouver le meilleur système, c’est une question de temps et d’observation !

À la base je souhaitais aménager chaque parcelle en Paddock Paradise. Mais à force d’observer mes chevaux j’ai choisi d’utiliser ce système ouvert. Et été comme hiver cette façon de faire leur réussit très bien.

Bien sûr, c’est aussi parce que je sélectionne le pré le plus sec et le plus dur pour l’hiver. Parce que je fais un roulement régulier entre les terrains en fonction de leur taille et de leur nature. Et parce que mes chevaux sont pieds nus. Mais quelles que soient la taille des parcelles et la nature des sols, j’ai toujours réussi à les préserver autant que possible. Simplement en observant le terrain et en n’hésitant pas à essayer diverses organisations jusqu’à trouver la meilleure ! Comme toujours, je fais confiance à la nature des chevaux. Je pars du principe que si le troupeau a une bonne dynamique et que les ressources sont adaptées et les chevaux bien dans leur tête, alors ils sont à même de gérer leur espace sans nous.

Là où je vois un véritable intérêt au Paddock Paradise, c’est lorsque le terrain est coupé en deux par des bâtiments ou un carrière par exemple. Dans ce cas, il peut être intéressant de ménager une piste de part et d’autre de la zone occupée par l’homme. Afin de pouvoir offrir aux chevaux toute la surface. Bien entendu, il faut alors prévoir un système pour fermer la piste et permettre le passage des hommes ou des voitures entre l’extérieur du pré et les bâtiments ou la carrière. 

En résumé, les points qui me font écarter l’idée du Paddock Paradise chez nous  : 

  • coût d’aménagement : deux fois plus de clôtures (fil et piquets), aménagement de la piste (drainer, stabiliser), nombreux filets à foin nécessaires si l’on envisage un seul remplissage par semaine ; 
  • petitesse des surfaces qui oblige à l’étroitesse des pistes : stress, danger de coups ou autres blessures ;
  • boue importante sur les pistes si elles ne sont pas drainées : risque de glissages et problèmes liés à la boue tels que gales de boues ; 
  • incompréhension des chevaux si la piste ne propose pas un trajet cohérent : risque de passage forcé des clotûres ;
  • entretien quotidien plus long ; 
  • pas davantage de mouvement des chevaux si les points d’intérêt ne sont pas assez nombreux ;
  • risque de positionner les différents aires de façon inappropriée aux besoins des chevaux. 

Et les avantages d’un système ouvert bien aménagé : 

  • ne nécessite qu’une clôture extérieure : économies ; 
  • accès direct à tout le parc : gain de temps et d’énergie ;
  • possibilité pour les chevaux d’éviter les zones humides et de faire évoluer leurs pistes avec les saisons : moins de boue et problèmes liés ; 
  • leur laisse la liberté d’utiliser l’espace en cohérence avec le temps (pluie, vents, soleil, insectes, etc) et selon leur instinct.

Vous qui avez un Paddock Paradise ou en êtes farouches défenseur(/se), n’y voyez pas un quelconque jugement. Cela reste mon avis personnel, fruit de ma propre expérience. 😉 Ça ne remet en aucun cas le principe en cause. Seulement son application, qui n’est pas toujours fidèle et qui demande un gros investissement dû aux conditions climatiques en France. Excepté peut être dans le Sud que je connais très mal. Pas de quoi monter sur ses grands chevaux 😉 

Note  : Je parle de petites surfaces pour nos prés français car j’ai eu la chance de découvrir un autre sens des proportions lors de mon expérience dans le bush australien. Une ferme sur un terrain de 200km de long pour 70 de large, ça vous parle ? 

Laure Souquet
Photographe : Kevin Simonet

Paddock Paradise, rêve ou cauchemar ?

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